Le peuple amazigh (berbère) de Tunisie : sacrifié pour/par la démocratie ?
La discussion autour de la nouvelle Constitution tunisienne, prisonnière de la dichotomie conservatisme-modernisme, a occulté totalement la question des droits du peuple amazigh de Tunisie ; peuple autochtone aujourd'hui minoritaire, pour avoir subi de multiples politiques de répression, de dépersonnalisation et d’assimilation, en violation manifeste de toutes les règles du droit international.
La Tunisie s'apprête à se doter, dans les jours à venir,
d’une nouvelle Constitution, dont on vante, en Occident notamment, les mérites
d'un texte fondamental moderne et sans précédent dans les Etats « arabes ».
Il est, donc, légitime de se demander en quoi ce texte, qui fait l'objet de
tant d'éloges, est si moderne et respectueux des droits de l'homme à la lumière
du droit international ? Où réside l'originalité d'un texte, qui selon
ses rédacteurs, fera « figure de proue » parmi les Constitutions des
autres Etats nord-africains ?
On ne procédera pas ici à un inventaire des lacunes qui
subsistent dans le projet de la nouvelle Constitution tunisienne, et on ne va
pas, non plus, s’attarder sur une étude de droit comparé. On relèvera tout
simplement que ce texte, présenté comme « moderne », est à des
années-lumière de la plus vieille Constitution moderne au monde, en
l’occurrence la Constitution des
Etats-Unis d’Amérique qui date de 1787; rédigée par les « Pères
fondateurs » et considérée encore
aujourd’hui, comme étant la Constitution la plus aboutie en termes de droits et
de libertés publiques au monde. Et pourtant elle est, elle aussi, issue
d'une révolution, la Révolution
américaine de 1776 (appelée aussi la Guerre d'indépendance).
Enfin, on évitera une comparaison, qui aurait pu par
ailleurs être utile, avec les Constitutions des plus grandes démocraties du
monde : Canada, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Japon, pour ne citer
que ces Etats. Ce n'est pas le sujet de notre présente contribution.
Une
constitution moderne doit être appréciée à la lumière des normes
internationales, en matière de droits civils, politiques, économiques et
sociaux
Une
Constitution moderne doit être appréciée à la lumière des normes
internationales, en matière de droits civils, politiques, économiques et
sociaux. Elle doit comporter dans ses dispositions l'égalité des citoyens, de
tous les citoyens, hommes et femmes, mais aussi la reconnaissance des droits des
peuples autochtones et la protection des minorités, présents sur le territoire
de la Tunisie.
Si l'égalité entre hommes et femmes est affirmée, sous
l’influence de nombreuses ONG nationales et internationales ; à l’instar
de Al Bawsala, Human Rights Watch et d’Amnesty
International, dans l'article 20 du projet de Constitution : « Tous
les citoyens et les citoyennes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils
sont égaux devant la loi sans discrimination aucune », la question
des minorités nationales et surtout des peuples autochtones est tout simplement
ignorée ! Or, le peuple amazigh, peuple
autochtone dans tous les Etats d'Afrique du Nord (Maghreb), une qualité
affirmée à maintes reprises par les Nations Unies et notamment par son Rapporteur spécial sur les droits des
peuples autochtones, reste un sujet tabou et subit encore, dans une Tunisie
qui se veut démocratique et respectueuse des droits de l'homme, un déni de
droit manifeste.
L’article
1 du projet de la nouvelle Constitution, ne peut être plus explicite : «La Tunisie est un Etat libre, souverain, sa religion
est l'islam, sa langue l'arabe et son régime la république », est pratiquement identique à celui de la Constitution
de 1959 !
Que fera
alors la Tunisie officielle des populations amazighes de l’île de Djerba, des
villes et villages et des nombreuses oasis du sud ?
Ainsi, le peuple amazigh de Tunisie est réduit au
silence dans la nouvelle Constitution. Et pourtant ses frères, dans les autres
Etats nord-africains qui sont loin d'être des démocraties, ont arraché quelques
droits plus ou moins substantifs. Au Maroc, en 2011, la langue amazighe est
consacrée langue officielle. En Algérie, la langue amazighe qui est déjà
inscrite dans la Constitution comme langue nationale (2002), son
officialisation fait débat actuellement, à la veille d’une nouvelle révision
constitutionnelle. Et la Kabylie voit les prémices d’une future entité
étatique. Enfin, à l'est de la Tunisie, la Libye reconnaît la composante
amazighe en instituant le nouvel an amazigh (Yennayer) comme fête nationale (2013),
et la région d’Adrar N’foussa évoque son droit à l'autodétermination.
La
Tunisie « révolutionnaire » reste insensible à son âme: le
peuple amazigh (berbère)
C'est désolant ! C'est presque grotesque que la
Tunisie « révolutionnaire » reste insensible à son âme : le peuple
amazigh (berbère) ; tournant ainsi le dos à une véritable Constitution
moderne respectueuse des normes internationales. La Tunisie gagnera, sans
doute, à reconnaître le peuple amazigh en tant que peuple autochtone et à
officialiser sa langue millénaire. La nouvelle Constitution devrait être au
diapason des instruments internationaux, notamment de la Déclaration des Nations Unies sur
les droits des peuples autochtones qui consacre explicitement dans son
article 3 le droit à l'autodétermination aux peuples autochtones.
Hélas ! Le rêve d’une société plurielle et d’un Etat de droit moderne se heurte à la dure réalité de l’archaïsme politique.
La
reconnaissance des peuples autochtones et des minorités n'est pas synonyme de
séparatisme. A notre sens, au contraire, c'est le
meilleur moyen de consolider l'Etat de droit et d’assurer sa pérennité. La
Tunisie actuelle tourne le dos à son histoire et à ses origines amazighes, aux
temps où elle faisait partie intégrante de la Massylie (Royaume amazigh prospère sous le grand roi Gaïa et de son fils, l’illustre
Massinissa, fondateur du premier Etat
amazigh ; 240 av.
J.-C. – 148 av. J.-C., par ailleurs vainqueur d’Hannibal à Zama, dans le nord-ouest tunisien, en 202 av. J.-C.). Elle rate, ainsi, une occasion en or de
s'aligner durablement sur les Constitutions des grandes démocraties du monde.
La
Tunisie s'apprête donc à se doter d'une Constitution de synthèse, entre des
forces en présence et en concurrence, entre islamistes-radicaux et
pseudo-modernistes.
In fine il
reste, pour les Amazighs de Tunisie, un long chemin à parcourir. Il leur appartient désormais de revendiquer
leur spécificité amazighe, leur antériorité en tant que peuple autochtone et faire
valoir tous les droits découlant du droit international. Et au-delà de la
cause de nos frères Amazighs de Tunisie, on invite tous les peuples amazighs
présents en Afrique du Nord à être solidaires et à œuvrer pour un « Maghreb » des peuples libres.
Nassim SAID